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Cigéo, un déjà vieux (projet) mort-né

Entre les propos relatifs au projet Cigéo développés par la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières des déchets radioactifs (CNE) dans son rapport n° 12 de juin 2018 et ceux tenus par la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité dans les installations nucléaires de l’Assemblée nationale dans son rapport rendu public le 5 juillet 2018, existe un hiatus abyssal : pas de panique… tout va mal !

 

Pas le temps d’attendre pour la CNE !

Le rapport n° 12 se voulait infructueusement rassurant sur le projet Cigéo. Le paragraphe résumant la partie « stockage géologique cigéo » se conclue dès la page 8 par « les études de l’Andra permettent de garantir la faisabilité de Cigéo ». Pour la CNE, Cigéo a déjà (mal ?) vieilli, elle s’en inquiète. On sait ce qui arrive aux vieux projets : ils finissent par être remis en question s’ils sont trop discutés, ils ne semblent alors plus opportuns voire deviennent obsolètes et ils ne se font finalement pas. Et ça, il n’en est pas question, parce que « le projet Cigéo de stockage géologique des déchets HA-MA-VL est scientifiquement mûr dans le cadre de la stratégie actuelle de la filière électronucléaire. Il y a donc toute raison scientifique pour que la demande d’autorisation de création aille à son terme et que l’Andra dépose sa demande en 2019 ». Mieux vaut faire les choses dans le désordre : la CNE craint « un risque réel d’enlisement » du projet Cigéo si on commence à considérer l’entreposage sur de plus longues périodes qu’à court terme. Comprenez bien : il risquerait de ne pas se faire ! Pour elle, le risque premier n’est pas l’incendie ingérable, ni l’explosion, ni la remontada d’éléments radioactifs en surface ou la contamination des milieux, mais « que l’on considère que l’on n’est jamais prêt ». Aussi, la CNE, plus complice qu’évaluatrice de la filière nucléaire « recommande instamment que les pouvoirs publics mobilisent l’ensemble des parties prenantes pour que la DAC soit déposée dans les temps », considère que « le socle de connaissances acquis par l’Andra est suffisant pour cela », et que « le processus décisionnel ne doit pas être ralenti, de sorte que ce soit bien notre génération qui assume la responsabilité des déchets qu’elle a produits ».

 

Urgent d’attendre pour l’assemblée nationale !

L’Assemblée nationale et la CNE ne jouent pas la même partition, et pas même dans le même orchestre. Après une introduction assez institutionnelle et une contextualisation classique du projet Cigéo, la lecture du rapport prend à partir de la page 138 une tournure fort intéressante. Les titres sont évocateurs : la commission, s’appuyant sur les personnes auditionnées, liste « les lacunes en termes de sûreté », souligne « l’impossibilité de prouver la sûreté à long terme ». Elle dit être rentrée « dubitative de sa visite du site de l’Andra quant à la réversibilité du processus », rappelle que « certains responsables continuent de douter de la réversibilité » et à ce jour elle pointe « une réversibilité contestable ». Elle insiste sur « la question épineuse de la mémoire », « le coût imprévisible » et préconise de « poursuivre l’étude de la solution de l’entreposage de longue durée en subsurface comme alternative éventuelle au stockage géologique ».

 

Le gouffre temporel est saisissant : le rapport de l’Assemblée nationale met en exergue ce que l’on sait déjà tout en reconnaissant à travers un regard plus juste les incertitudes irrémédiables pesant sur Cigéo, tandis que l’ancien monde fait de la résistance avec cette Commission nationale d’évaluation dans laquelle des personnes ont été nommées il y a des lustres par le lobby nucléaire, certains, par exemple comme Jean-Claude DUPLESSY, depuis 1994 !

 

Il est temps maintenant de reconsidérer à sa juste mesure le projet Cigéo dans une approche ouverte, hors des chemins anciens tracés par cette industrie en fin de vie et avec la prise en compte de ce que l’on sait maintenant sur les risques, les failles, les incertitudes, les erreurs de conception du projet Cigéo, avec en outre les mensonges et les dissimulations de l’Andra. Bref, une situation en complète opposition au contexte des années 90 où l’Andra n’était perçue en Haute-Marne et en Meuse que par son excellence scientifique, un temps ancien, bien passé, en effet !