· 

Les petits pas des évaluateurs de Cigéo vers son échec

Le rapport n°11 de la Commission nationale d’évaluation (CNE, chargée d'évaluer les résultats des recherches sur la gestion des déchets radioactifs) a été présenté devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST, dont le tout nouveau Président n’est autre, pour rappel, que Gérard Longuet) le jeudi 23 novembre dernier. Les nombreux articles parus sur le sujet au lendemain de cette présentation étaient essentiellement axés sur l’expertise internationale demandée par la CNE au sujet de colis « bitumineux » représentant 18% des déchets moyenne activité et à vie longue (MA-VL) destinés à Cigéo (pour plus d’infos : ici) !

 

Pour en savoir plus, nous avons donc posé quelques questions à Bertrand Thuillier, expert indépendant ayant largement travaillé sur les dossiers de l’Andra.

_________________________

 

CEDRA : Bertrand, expliquez-nous ! Pourquoi autant de remue-ménage médiatique autour du nouveau rapport de la CNE, assise-t-on à un tournant dans l’histoire du projet ?

BT : « Eh bien pour tout vous dire, en réalité, il n’y a rien de très neuf… La CNE n’a fait que réitérer les inquiétudes soulevées par l’IRSN et l’ASN avant elle cet été, celles-ci précédemment mises en évidence…par des experts indépendants dont je suis ! Les problématiques posées par les colis bitumineux sont connues depuis des années. Inutile de dire que cela affecte considérablement la crédibilité des organismes de contrôle et vérificateurs [N.B. : CNE, ASN, IRSN, OPECST] des travaux de l’Andra. Implicitement, car ce n’est pas clair, ils disent à demi-mots que la faisabilité de Cigéo n’est pas démontrée, n’apportent aucune solution/proposition pour répondre aux éléments qu’ils soulèvent ; ceci après que des experts indépendants relayés par les opposants à l’enfouissement aient largement communiqué dessus !!! »

 

Vous voulez dire que cela fait des années que les experts connaissent les difficultés inhérentes aux colis bitumineux en particulier, mais qu’à un an du dépôt de la demande d’autorisation de création (DAC) l’Andra ne sait toujours pas quoi en faire ?!

« Tout à fait ! Cela fait des années que les ingénieurs et évaluateurs savent que les colis bitumineux ne peuvent être stockés en l’état, puisqu’ils sont extrêmement inflammables et que l’on peut craindre un emballement thermique au moindre accident. Comprenez bien. L’Andra se veut rassurante lorsqu’elle nous dit que s’il n’y a pas de réponse satisfaisante apportée à ces colis, ils ne seront pas enfouis à Bure. Mais ils ne sont pas les seuls colis problématiques MA-VL de Cigéo ! Il existe également 20% des déchets MA-VL au contenu « incertain » pour lesquels l’enfouissement définitif ne peut pas être une réponse non plus. Cela représente tout de même 38 % des déchets MA-VL initialement destinés à Cigéo et qui ne pourront être enfouis. C’est énorme ! A un an du dépôt de la DAC, l’inventaire des déchets radioactifs concernés par Cigéo est inabouti. Alors je vous le demande : à quoi sert Cigéo ?! »

 

Nous comprenons bien. Néanmoins, pouvons-nous craindre que toute l’attention soit reportée sur ces colis bitumineux, en occultant d’autres risques et inquiétudes potentiels ?

« Bien entendu, il ne faut pas être dupe. Les colis bitumineux sont loin d’être le seul problème de l’Andra, pourtant, elle ne communique presque jamais sur les autres risques inhérents à Cigéo. Dans un premier temps, ceux liés à la nature même d’un stockage de déchets radioactifs au sein d’un matrice argileuse friable et saturée en eau. En effet, dû à un processus chimique appelé radiolyse, les rayonnements des déchets viendraient casser les molécules d’eau, produisant massivement de l’hydrogène, un gaz hautement inflammable et explosif. Par ailleurs, les roches argileuses étant non-porteuses, des structures importantes en acier (des centaines de milliers de tonnes) seraient indispensables pour soutenir le stockage. Or, là encore, la corrosion qui les affecterait irrémédiablement produirait des quantités importantes d’hydrogène. Cigéo serait une véritable usine à hydrogène, une cocotte-minute ! Une ventilation continue et permanente pendant 150 ans serait indispensable. Vous imaginez ! Dans un second temps, la conception de Cigéo elle-même est également à remettre en question. Afin de diminuer le volume des colis pour des raisons de coût, l’Andra a opté pour le choix d’alvéoles irradiantes, ce qui rend inenvisageable toute intervention humaine et de surcroît rend impossible la récupérabilité des colis en cas d’accident. Imaginez les conséquences d’une panne de ventilation, d’un incendie qui se propagerait alors à l’ensemble des galeries, d’une explosion dégradant l’ensemble des structures, d’un éboulement ! Rendez-vous compte des facteurs de risque aggravants et concomitants !

 

Que d’erreurs ! Mais si Bure avait été choisi pour la qualité géologique de ses sous-sols, ça se saurait ! »